Comment la FDSEA, la SAFER et la DRAAF ont travaillé de concert pour privilégier un agrandissement en conventionnel, plutôt qu’une ferme collective en agroécologie, malgré les discours sur l’installation et la transition agricole : retour sur le parcours des Communs de Nargoat à la SAFER.
Vous verrez, c’est édifiant :

- Première commission SAFER (21/09/2021) : notre dossier pour obtenir la ferme de Nargoat est rejeté en comité technique départemental. Motif (officiel) du rejet : les agriculteurs du projet seraient en location. Motif probable plus prosaïque : notre concurrent est encarté à la FDSEA.
Argument oiseux cependant, puisqu’en France, 60% des agriculteurs en fermage, donc locataires. Nous contestons derechef ; - Seconde commission SAFER (20/10/2021) : le bureau régional de la SAFER suit la décision départementale, malgré l’intervention en commission, en notre faveur, de deux élus de la Région Bretagne, dont Arnaud Lecuyer, vice-président à l’agriculture. Argument toujours aussi oiseux, néanmoins. Nous contestons à nouveau, sollicitons les élus. La Région et le Ministère de l’agriculture lui-même demandent à la DRAAF et à la FNSAFER de réétudier cette attribution « en y intégrant les enjeux environnementaux sur ce territoire« .
La SAFER Bretagne va garder ce complet désaveu en travers de la gorge. On va bien voir qui est le patron… - Troisième commission SAFER (24/11/2021) : le dossier des Communs de Nargoat est rediscuté en « comité directeur ». C’est-à-dire à huis clos, entre directeurs départementaux de la SAFER. Ben oui, pourquoi pas ? C’est tellement plus simple sans opposition.
- Quatrième commission SAFER (15/12/2021) : le dossier des Communs de Nargoat est à nouveau rejeté par le conseil d’administration de la SAFER. On change d’argument : la SAFER ne veut pas attribuer Nargoat à une SCI mais directement aux agriculteurs. Alors que nous avions demandé par écrit, justement, une attribution aux agriculteurs (la SCI Courte Echelle n’étant qu’un apporteur de capitaux citoyens). Bref… L’argumentation est accessoire : ils s’en battent les steaks. Ce n’est pas le sujet.
À ce moment (07/01/2022), nous lançons une pétition qui reçoit un vaste soutien (600 citoyens, de nombreux élus de la Région et du coin, une trentaine d’associations et de syndicats…). - Intermède (16/02/2022) : Hervé le Saint, vice-président de la SAFER Bretagne et trésorier de la FDSEA (c’est un détail), accompagné par une soixantaine de membres locaux de la fédé, s’invite à une réunion publique à Querrien, pour dénoncer ce manque patent de respect des autorités/des lois de la part des Communs de Nargoat et répandre diverses insinuations/menaces. C’est la séquence gros bras et intimidation (qui a hélas bien fonctionnée) ;
- Cinquième tour (3/3/2022) : La SAFER, sentant la patate chaude au vu de notre pétition, botte en touche et demande à la DRAAF de trancher. Rappelons que la DRAAF est la tutelle de la SAFER : c’est un service de la Préfecture. Nous serons reçus 4 heures par le directeur de la DRAAF en personne, assisté du directeur de la SAFER Bretagne, à Rennes.
La DRAAF ne reprend pas les arguments de la SAFER : c’est dire la solidité de ceux-ci. Elle rejette notre dossier avec un nouvel argument, tout nouveau, tout beau : à la date de la dernière commission, nos porteurs de projet n’avaient pas tout à fait fini leur parcours d’installation. Parbleu ! Comment diable la SAFER n’y avait-elle pas pensé avant ? Ca nous aurait évité quatre commissions.
C’est qu’en général, dans les procédures d’attribution SAFER, il suffit aux porteurs de projet d’avoir sérieusement entamé le parcours d’installation agricole. On peut être « en cours de formation« . Ce qui était le cas de nos porteurs de projet : ils ont complété leur parcours entre la 4e commission et la réunion à la DRAAF. Mais c’était également le cas… de notre concurrent. Il a juste fini un peu avant nos porteurs de projet (du moins, c’est ce qu’on est priés de croire).
Il y avait pourtant des arguments autrement plus valables au regard du schéma directeur agricole (SDREA) et de la politique régionale pour départager les deux dossiers :- Deux installations au minimum versus une ;
- Installation de jeunes sans terre versus agrandissement de 150 à 173 hectares (pour la DRAAF, ceci n’est pas un agrandissement. Est considéré comme agrandissement, je cite le directeur de la DRAAF, une ferme qui passe à 500 ha…)
- Lancement de deux nouvelles activités, versus « consolidation » d’une exploitation déjà ancienne réalisant 184 300 €/an (avec un indice de développement économique supérieur à 60 000 euros par salarié)
- bassin versant en ZNIEFF (Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique) travaillé en agroécologie versus extension d’une zone d’épandage ;
- projet bio versus projet conventionnel.
Tout cela est bien sur complètement accessoire, vous en conviendrez.
- Sixième tour : y’a pas ! Notre concurrent s’est immédiatement installé à Nargoat. De ce côté, les choses sont d’une fluidité remarquable.
En revanche, pour ce qui est de produire un argument juridique officiel sur lequel nous pourrions nous appuyer pour formuler un recours, repassez l’année prochaine. La SAFER vous prie d’attendre que la vente à notre concurrent soit effective, c’est la règle, vous savez, l’administration, tout ça. Ca peut durer six mois, un an, ou plus, quel besoin de savoir, après tout ? Voilà voila. On a attendu bien sagement jusqu’à aujourd’hui.
Appelons un chat un chat. La SAFER et la DRAAF ont fait le choix de protéger le pré-carré de la FDSEA : la distribution des terres agricoles. Il fallait surtout montrer aux élus qu’ils n’avaient pas leur mot à dire sur les questions agricoles, sous couvert du principe d’indépendance de la SAFER. Laquelle est une indépendance toute relative.
Cette attribution se fait via une interprétation à géométrie variable des missions de la SAFER sur l’installation ou l’environnement – missions qui sont là pour faire joli sur le site de la SAFER et sur lesquelles, bien entendu, il n’y a jamais d’objectifs chiffrés. Pensez donc ! On risquerait d’avoir des comptes à rendre.
La gouvernance de la SAFER est déjà un gros problème en soi. Mais avec l’absolution complaisante de la DRAAF, on passe dans un autre registre. Est-ce qu’on peut raisonnablement fermer notre gueule ?
Ce serait, il nous semble, un bien mauvais service à rendre à tous ceux qui luttent – non pas seulement pour l’agroécologie en Bretagne, mais aussi et surtout pour une procédure d’attribution juste, transparente et honnête. Simple question démocratique.
La suite au prochain épisode…
*PS : Que chacun.e vote en son âme et conscience. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que sur le sujet Nargoat, nous avons pu éprouver les limites du ni-ni des députés En Marche en Bretagne. Le discours tenu est généralement qu’il faut de la place pour tout le monde, agriculture conventionnelle et agriculture paysanne – ils le disent sans rire à des gens qui viennent de se faire virer. C’est un discours d’invisibilisation de la domination brutale et sans partage opérée par les syndicats majoritaires. Il serait temps de reprendre les clefs du camion…
Très bien! faut pas baisser les petits bras!